La Libye vient de franchir un cap dans sa guerre contre le minage clandestin. En novembre 2025, neuf personnes ont été condamnées à trois ans de prison pour avoir exploité une ferme de Bitcoin dans une aciérie à Zliten. Le tribunal a aussi ordonné la saisie de toutes les machines et la récupération des profits jugés illicites. Le message est limpide : l’électricité subventionnée n’est plus un terrain de jeu.
Un verdict qui change le décor
L’affaire de Zliten n’a rien d’un dossier “secondaire”. Elle vise une activité structurée, installée dans un site industriel, donc pensée pour tourner longtemps. Les autorités évoquent l’usage d’équipements dédiés au minage de cryptomonnaies, dont le Bitcoin. Et elles ajoutent une logique de confiscation totale, comme si le minage était un trafic classique.
Ce jugement arrive après une série d’opérations qui installe une nouvelle routine. On coupe l’alimentation. On saisit les rigs. Puis on communique. À Benghazi, plus de 1 000 appareils auraient été récupérés en avril 2024, avec des revenus mensuels évoqués autour de 45 000 dollars. En juin 2023, un autre dossier a marqué les esprits, avec des arrestations de ressortissants chinois et la découverte de fermes à Zliten et Misrata.
Le signal est aussi politique. Quand un État fragilisé affiche des peines de prison plutôt qu’une simple amende, il cherche à reprendre la main sur un secteur invisible. Il cherche aussi à casser une idée tenace : celle d’un Bitcoin que l’on peut miner “hors radar”, tant qu’on a une prise et une connexion.
L’électricité à prix cassé, le carburant du Bitcoin local
Si la Libye attire les mineurs, ce n’est pas par passion pour la blockchain. C’est une question de facture. Le pays pratique un tarif d’électricité extrêmement bas, souvent cité autour de 0,004 dollar par kilowattheure. À ce niveau, le coût énergétique devient presque anecdotique, même avec des machines vieillissantes.

Ce détail technique change tout. Dans les pays où l’électricité est chère, chaque génération d’ASIC chasse la précédente. En Libye, l’arbitrage s’inverse. Une machine “dépassée” peut encore être rentable, parce que le poste énergie ne tue pas la marge. Et cela ouvre la porte à un minage opportuniste. Parfois bricolé. Parfois industriel, comme le montre l’installation dans une aciérie.
À cette équation s’ajoute une réalité plus grise. La fragmentation du pouvoir complique la surveillance, et la subvention continue de faire tourner le compteur. Résultat, le Bitcoin se met à pousser là où le courant est le moins cher et où la sanction paraît lointaine. Jusqu’au jour où la porte s’ouvre. Et où le minage devient un dossier pénal.
Un réseau à bout de nerfs et une loi qui patine
Le problème, pour Tripoli, n’est pas seulement moral ou financier. Il est électrique. Le Premier ministre Abdul Hamid Dbeibah a déjà lié le minage illégal à un gaspillage massif, évoquant 1 000 à 1 500 mégawatts par opération. Dit autrement : assez pour faire trembler un réseau déjà fragile, et nourrir la colère des ménages privés de courant.
Cette pression se lit aussi dans les chiffres de visibilité internationale. Des analyses expliquent qu’en 2021, la Libye aurait représenté environ 0,6 % de l’activité mondiale de minage de Bitcoin. C’est énorme pour un pays de cette taille. Le même type d’analyses rappelle aussi que cette activité peut absorber une part notable de l’électricité nationale quand elle se généralise.
Reste le casse-tête juridique. La Banque centrale de Libye a interdit les transactions en crypto en 2018, notamment pour des raisons de blanchiment et de financement du terrorisme. Mais l’acte de miner, lui, se retrouve souvent attaqué par ricochet. Branchements illégaux. Importations sensibles. Soupçons de blanchiment. Autrement dit, on punit moins “le Bitcoin” que tout ce qui l’entoure.
C’est là que le débat devient plus tranchant qu’il n’y paraît. Interdire totalement, c’est courir après des entrepôts sans fenêtres et des installations camouflées. Réguler, c’est accepter l’existence du minage et le faire payer au prix du marché, compteurs à l’appui. La Libye n’a pas encore choisi sa voie. Mais après Zliten, une chose est claire : miner du Bitcoin sur courant subventionné peut désormais se terminer derrière des barreaux.
