La Russie cherche un fragile équilibre : ouvrir la porte aux cryptos, sans leur accorder le statut de monnaie. La Banque de Russie propose un cadre où bitcoin et consorts seraient enfin tradables plus largement, mais sous surveillance rapprochée. Ce n’est pas un feu vert idéologique. C’est un dispositif de contrôle, calibré, presque clinique.
Un accès élargi, mais découpé en deux Russies
La Banque de Russie trace une frontière nette : investisseurs qualifiés d’un côté, grand public encadré de l’autre. L’objectif ressemble davantage à une mise en cage propre du marché qu’à une démocratisation enthousiaste. Et dans ce genre de configuration, le détail qui compte n’est pas la promesse d’accès, mais la manière dont on filtre le risque, un peu comme dans ces phases où bitcoin donne l’impression de monter “facilement”, avant de révéler une hausse parfois trompeuse.
Pour les investisseurs non qualifiés, l’entrée se fait via un test de sensibilisation. L’accès serait limité aux cryptos les plus liquides, avec un plafond annuel de 300 000 roubles par intermédiaire. C’est une régulation par le débit : on laisse passer, mais au compte-gouttes. Ce cadre montre qu’un assouplissement n’est pas toujours haussier mais peut simplement installer une confiance artificielle trompeuse.
Pour les investisseurs qualifiés, le cadre s’élargit nettement : ils pourraient trader l’essentiel des cryptos, sauf certains actifs orientés confidentialité, notamment ceux dont des smart contracts brouillent les détails des transferts. Eux aussi devront passer le même test, ce qui en dit long sur l’obsession du régulateur : pas seulement contrôler qui achète, mais contrôler comment le récit se construit. Parce qu’en crypto, le récit est souvent le vrai levier… et parfois, le piège.
Bitcoin classé comme “actif en devise”, et pas comme monnaie
La qualification juridique révèle le plus clairement la position russe : elle classe crypto et stablecoins comme actifs en devise étrangère. Autrement dit, on les range dans la catégorie des instruments que l’on détient, que l’on échange, mais que l’on n’utilise pas pour régler des paiements domestiques. La Russie ne change pas de doctrine : bitcoin n’est pas une unité de compte nationale, seulement un actif.
Ce choix a un effet immédiat : il verrouille l’usage transactionnel tout en ouvrant l’usage patrimonial. C’est une manière de dire au public : vous pouvez spéculer, diversifier, exporter du risque, mais pas contourner le rouble dans la vie quotidienne. Et ça, pour une banque centrale, c’est la ligne rouge la plus logique.
Même l’ouverture vers l’extérieur est encadrée. Les citoyens russes pourraient acheter de la crypto sur des plateformes étrangères via des comptes bancaires hors de Russie, ou transférer des actifs crypto à l’étranger via des intermédiaires russes, à condition de déclarer ces opérations aux autorités fiscales. Le contrôle ne disparaît pas : il se déplace sur le reporting.
2026 pour la loi, 2027 pour la répression, et un rouble numérique en embuscade
La Banque de Russie a soumis ces règles au gouvernement pour examen, avec un objectif clair : finaliser les changements législatifs nécessaires d’ici le 1er juillet 2026. Puis, à partir de juillet 2027, les intermédiaires non licenciés seraient exposés à des sanctions. C’est la carotte, puis le bâton, dans cet ordre.
Ce timing n’est pas isolé. En parallèle, la Russie prépare le déploiement national progressif du rouble numérique, avec un démarrage fixé au 1er septembre 2026. Les grands marchands, revenus annuels au-dessus de 120 millions de roubles, devront accepter les paiements en roubles numériques à partir de cette date, avant l’extension aux entreprises plus petites en 2027 puis 2028, avec une exemption annoncée pour les très petits acteurs.
