Un nouveau rapport d’enquête relance les soupçons autour de Binance et de sa gestion des flux financiers sensibles en Afrique. Selon des révélations récentes, la plus grande plateforme crypto mondiale aurait laissé transiter des milliards de dollars via des comptes jugés à risque, notamment au Niger. Une affaire lourde de conséquences, à la fois pour l’exchange et pour l’écosystème crypto africain.
Des flux massifs malgré des signaux d’alerte évidents
Binance aurait privilégié une stratégie de croissance rapide, au détriment de contrôles stricts. Une logique décrite comme un « growth at any cost », désormais pointée du doigt par plusieurs autorités.
En effet, Entre 2021 et 2025, 13 comptes considérés comme suspects auraient fait transiter plus de 1,7 milliard de dollars sur la plateforme. Une partie de ces flux, environ 144 millions de dollars, aurait même circulé après l’accord historique signé avec les autorités américaines en novembre 2023.
Ce point interpelle. Cet accord, d’un montant de 4,3 milliards de dollars, était censé marquer un tournant. Plus de transparence. Plus de contrôles. Surtout, plus de rigueur dans la lutte contre le blanchiment et le financement illicite.
Pourtant, les données internes évoquées dans le rapport montrent autre chose. Certains comptes présentaient des profils à haut risque, sans être immédiatement bloqués. D’autres affichaient des comportements difficilement explicables dans un cadre bancaire classique.
Le Niger apparaît comme l’un des pays concernés par ces flux. Dans une région où les systèmes financiers restent fragiles, ces volumes soulèvent des inquiétudes majeures sur l’impact macroéconomique et sécuritaire de tels mouvements.
Comptes suspects, liens terroristes et incohérences flagrantes
Les détails révélés sont précis et dérangeants. Treize comptes auraient reçu près de 29 millions de dollars en USDT depuis des portefeuilles précédemment gelés par l’autorité israélienne de lutte contre le financement du terrorisme. Certains flux seraient liés à des réseaux soupçonnés de financer le Hezbollah ou les Houthis.
Un autre cas attire particulièrement l’attention. Un compte aurait été utilisé depuis Caracas, puis depuis Osaka moins de dix heures plus tard. Un déplacement impossible par des moyens commerciaux classiques. Ce type d’anomalie constitue normalement un signal d’alerte immédiat dans les systèmes de surveillance bancaire.
Plus troublant encore, un compte attribué à un jeune utilisateur vivant dans un bidonville vénézuélien aurait fait transiter 93 millions de dollars. Les coordonnées bancaires associées auraient été modifiées plus de 600 fois en un peu plus d’un an. Un schéma typique d’activité de transfert de fonds non autorisé.
Ces éléments renforcent l’idée d’un déficit de réaction en temps réel. Les alertes existaient. Leur traitement semble avoir été tardif, voire insuffisant.
Un passif déjà lourd avec les autorités américaines
Ces accusations ne surgissent pas dans un vide réglementaire. Depuis mai 2024, Binance opère sous la supervision de deux contrôleurs indépendants nommés par le département américain de la Justice et le Trésor.
Cette surveillance découle directement de l’accord de plaidoyer signé en 2023. À l’époque, les autorités américaines avaient dressé une liste accablante de manquements. Plus de 100 000 transactions suspectes n’auraient pas été déclarées aux autorités compétentes.
Les infractions évoquées allaient bien au-delà de simples erreurs administratives. Les dossiers mentionnaient des flux liés à Al-Qaïda, à l’État islamique, au Hamas ou encore au Jihad islamique palestinien. D’autres concernaient des ransomwares notoires, des trafics de stupéfiants et même des plateformes diffusant des contenus criminels graves.
Dans ce contexte, chaque nouvelle révélation ravive la question centrale. Les engagements pris ont-ils réellement transformé les pratiques internes ?
Une pression accrue sur l’écosystème crypto africain
Pour les utilisateurs africains, cette affaire dépasse largement le cas Binance. Elle renforce la pression réglementaire déjà exercée par plusieurs autorités du continent. Au Nigeria, la SEC locale multiplie les avertissements. En Afrique du Sud, la FSCA impose des exigences croissantes en matière de conformité.
La notion de « Travel Rule » devient centrale. Elle impose l’identification précise des expéditeurs et des bénéficiaires lors des transferts crypto. Un standard encore difficile à appliquer dans certaines juridictions, mais de plus en plus incontournable.
Binance affirme maintenir une politique de tolérance zéro face aux activités illicites. La plateforme souligne avoir considérablement augmenté ses budgets dédiés à la conformité. Le rapport suggère toutefois que des failles subsistent, exploitées par des acteurs bien organisés.
Pour l’Afrique, l’enjeu est stratégique. Le continent représente un moteur de croissance majeur pour la crypto. Mais cette expansion rapide s’accompagne désormais d’un contrôle plus strict. Les plateformes qui ne s’adapteront pas risquent de voir leur accès au marché sérieusement compromis.
Cette affaire pourrait donc servir de signal. Un rappel brutal que la crypto, pour continuer à se développer, devra composer avec des règles de plus en plus proches de celles de la finance traditionnelle.
