Il y a des batailles qui ne font pas de bruit. Pas de chars. Pas de sanctions annoncées à la une. Juste des coffres qui se remplissent, lentement, méthodiquement. Depuis trois ans, le bloc BRICS avance une pièce maîtresse sur l’échiquier monétaire mondial : l’or. Une stratégie patiente, presque clinique, qui ne vise pas l’effondrement brutal du dollar, mais son érosion progressive. Et dans cette partie longue, le métal jaune redevient une arme géopolitique.
L’or, socle silencieux de l’indépendance stratégique
Depuis 2022, les banques centrales ont changé de ton. Fini le temps où l’or était relégué au rang d’actif « archaïque ». Désormais, il revient au centre du jeu, porté par une demande officielle qui pèse sur le marché et pousse les cours vers de nouveaux sommets, comme le montre ce nouvel ATH de l’or. Dans ce mouvement, les pays des BRICS accumulent du métal physique à un rythme inédit, loin des produits dérivés et des promesses papier.
La Russie et la Chine ont montré la voie, transformant leurs réserves d’or en véritable assurance souveraine. La logique est simple : moins de bons du Trésor américains, plus de métal tangible. Une manière élégante de réduire l’exposition au dollar sans provoquer de choc frontal.
Mais la quantité ne fait pas tout. Ce qui compte, c’est le signal envoyé. En privilégiant l’or physique, les BRICS réhabilitent l’idée de monnaie forte. Une monnaie qui existe hors système, hors sanctions, hors chambres de compensation occidentales. Une monnaie qui ne dépend ni d’un réseau SWIFT, ni d’une banque centrale étrangère.
Et ce message est entendu. De l’Asie centrale au Moyen-Orient, plusieurs pays alignent désormais leur stratégie de réserve sur ce modèle, convaincus que la prochaine crise ne se réglera pas avec des lignes de crédit, mais avec des actifs réels.
Une monnaie BRICS testée sans précipitation
Contrairement aux fantasmes d’un « nouveau dollar BRICS » lancé du jour au lendemain, la réalité est plus subtile. Le bloc avance par prototypes, par tests, par ajustements. La monnaie expérimentale « Unité » s’inscrit dans cette logique : un outil de règlement inter-États, partiellement adossé à l’or, pensé pour contourner le dollar sans l’affronter directement.
Chaque transaction réglée hors dollar est une fissure supplémentaire dans son hégémonie. Pas une rupture. Une érosion. Et c’est précisément cette lenteur assumée qui rend la stratégie crédible. Comme l’a rappelé Vladimir Poutine, il ne s’agit pas de remplacer un système par un autre, mais d’offrir des alternatives viables.
La dédollarisation est déjà une réalité concrète. Les échanges bilatéraux sino-russes se règlent massivement en monnaies locales. L’Inde affine ses mécanismes. Le Brésil revient sur le marché de l’or. Chacun avance à son rythme, mais tous dans la même direction : réduire la dépendance au billet vert sans déclencher de tempête financière.
Une infrastructure financière parallèle prend forme
L’or n’est pas une fin en soi. Il est le socle. Autour, les BRICS construisent une architecture financière alternative. Plateformes de paiement, règlements instantanés, marchés de l’or découplés de Londres et de New York : les briques s’empilent.
La Bourse de Shanghai, avec ses règlements accélérés, envoie un message clair aux marchés occidentaux. Ici, l’or se négocie, se livre et se règle sans intermédiaire dollar. Une petite révolution technique, mais une révolution tout de même.
Dans ce contexte, la flambée du prix de l’or n’a rien d’anecdotique. Elle révèle une tension structurelle : une demande souveraine massive face à une offre contrainte. Au même moment, le débat sur la capacité du bitcoin à supplanter l’or s’était intensifié, comme l’avait souligné cette analyse sur un bitcoin à 1 million de dollars. Si même une fraction des flux obligataires mondiaux bascule vers le métal jaune, l’équilibre actuel ne tiendra pas.
