Les banques éthiopiennes voient leurs profits grimper depuis que la dérégulation sort du papier. Le pays, longtemps fermé à la concurrence, commence à récolter des résultats visibles. Et ce mouvement redessine la finance locale, y compris sur les sujets “crypto”.
Des résultats qui ne sortent pas de nulle part
Les chiffres racontent une histoire nette : le secteur bancaire devient plus rentable. Wegagen Bank fait état d’une hausse marquée de ses revenus en 2024/2025 et d’un profit avant impôt en forte accélération. Pendant qu’un professeur exige une banque BRICS en urgence, Abyssinia Bank annonce aussi une progression rapide de ses actifs et de son bénéfice.
Ce basculement n’a rien d’un hasard. Il arrive après des réformes qui rendent l’allocation du crédit moins administrative. La libéralisation du change et le virage vers des outils monétaires basés sur les taux ont aussi modifié les équilibres.
L’effet domino compte autant que le résultat brut. Quand les banques gagnent en marges, elles peuvent investir dans le réseau, la conformité et les canaux digitaux. Or l’inclusion financière reste incomplète : l’“appétit” de marché est là.
Une ouverture calculée, pas une porte grande ouverte pour la crypto
La rupture la plus symbolique date du 17 décembre 2024. Le Parlement a adopté une loi qui autorise l’entrée de banques étrangères via filiales, succursales ou prises de participation. Le garde-fou est explicite : la détention étrangère dans les banques locales est plafonnée à 40%.
Cette prudence n’est pas seulement politique. Le système reste dominé par la Commercial Bank of Ethiopia, qui pèse environ la moitié des actifs du secteur, selon une analyse du FMI. Dans ce contexte, ouvrir trop vite peut créer des déséquilibres.
Mais la porte est bien entrouverte. Les autorités ont évoqué un petit nombre de licences sur quelques années, avec des exigences de capital strictes. Pour les banques locales, le message est simple : moderniser l’offre, ou se faire dépasser.
Digital partout, crypto privée sous verrou
La modernisation passe d’abord par les paiements. L’Éthiopie pousse l’interopérabilité des rails et impose des standards communs, comme des QR codes unifiés pour les prestataires. C’est discret, mais c’est ce qui fait décoller l’usage au quotidien.
Le paradoxe, c’est que cette accélération ne signifie pas une ouverture à la crypto privée. La banque centrale a rappelé que les transactions en crypto ne sont pas reconnues comme moyen de paiement. Le birr reste la seule monnaie légale.
On obtient donc une finance “crypto-like”, sans crypto. Les banques gagnent en agilité grâce au numérique, mais dans un cadre où la traçabilité n’est pas optionnelle. Pour les clients, le bénéfice se mesure en services plus fluides et plus accessibles.
Marchés de capitaux : le terrain de jeu “programmable”
La dérégulation ne s’arrête pas aux prêts. L’Éthiopie a lancé l’Ethiopian Securities Exchange le 10 janvier 2025. Le projet vise une place de marché plus transparente, et un financement plus long pour les entreprises.
Dans la foulée, les premières licences de banque d’investissement ont été délivrées en mars 2025. C’est la naissance d’un chaînon manquant : underwriting, conseil, distribution. Autrement dit, un système qui sait faire autre chose que collecter des dépôts.
C’est ici que le lien avec la crypto devient crédible, sans “crypto sauvage”. Une plateforme électronique multi-actifs, connectée à un dépositaire central, ressemble à l’infrastructure dont on a besoin pour des actifs programmables. La tokenisation régulée de T-bills fractionnés, par exemple, devient une trajectoire plausible.
Enfin, l’idée d’un “digital birr” s’installe. La NBE dit étudier le sujet, et sa stratégie de paiements numériques 2026-2030 cite des cas d’usage de CBDC. C’est une manière de capter la vitesse technologique tout en gardant la main sur la monnaie.
Reste un point qui ne se règle pas avec un texte de loi : la répartition du crédit. Un rapport relayé par la presse locale montre qu’une infime part d’emprunteurs concentre l’essentiel des prêts, tandis que l’agriculture reste peu servie. Si la réforme ne corrige pas ce biais, les profits ne suffiront pas à convaincre.
