L’idée d’un Internet sans frontière, libre et égalitaire, semble prendre du plomb dans l’aile depuis une décision marquante de la Cour d’appel américaine. L’engrenage judiciaire s’est récemment emballé, provoquant un nouveau tremblement de terre réglementaire. Les règles de neutralité du Net, censées garantir un accès équitable à l’ensemble des utilisateurs, sont désormais remises en cause. Face à cet événement, les acteurs du secteur se divisent entre ceux qui saluent une « libération » du marché et ceux qui redoutent une marchandisation dangereuse. Quelles en sont les causes, et surtout, quelles en seront les conséquences ?
Adieu neutralité du Net : la Cour d’appel fait volte-face
La Cour d’appel du sixième circuit a ainsi invalidé les règles qui empêchaient jusqu’alors les fournisseurs d’accès Internet de favoriser ou de freiner certains contenus.
En pointant du doigt la décision de la Cour suprême dans l’affaire Loper Bright Enterprises v. Raimondo, le panel de trois juges a estimé que la déférence accordée à la FCC (Federal Communications Commission) pour interpréter une loi fédérale ambiguë n’était plus d’actualité. Cette référence juridique met fin à la doctrine Chevron, qui, jadis, conférait une large marge de manœuvre aux agences fédérales.
Dans son verdict, la Cour précise que les services sans fil et à large bande domestique ne peuvent pas être régis par les mêmes règles que les opérateurs historiques.
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Elle considère en effet que le haut débit mobile n’est pas un « service mobile commercial » au sens de l’article 332(d)(1). Par conséquent, la FCC se retrouve privée d’une partie de son pouvoir réglementaire.
Certains y voient un soulagement : le nouveau président de la FCC, Brendan Carr, qualifie cette annulation de « victoire contre l’accaparement du pouvoir d’Internet » par l’administration Biden. D’autres, comme l’ancienne présidente Jessica Rosencel, dénoncent un recul majeur, rappelant que l’Internet « rapide, ouvert et équitable » constitue un pilier essentiel de la vie moderne.
Des administrations divisées : de Clinton à Biden
Cette longue bataille n’est d’ailleurs pas née d’hier. Comme l’a rappelé ironiquement la Cour, « cet ordre – émis sous l’administration Biden – annule l’ordre émis sous la première administration Trump, qui annulait l’ordre émis sous l’administration Obama, qui annulait les ordres émis sous les administrations Bush et Clinton ». Autrement dit, la neutralité du Net est l’objet d’un véritable jeu de ping-pong législatif depuis des années.
Les défenseurs de la neutralité arguent que le service Internet est un bien commun, au même titre que l’eau ou l’électricité, et qu’à ce titre, un cadre strict est nécessaire pour éviter tout abus. Ils soulignent aussi les risques de « ventes aux enchères » où les plus riches s’offriraient un débit privilégié, reléguant les petits acteurs au second plan.
Les industriels, de leur côté, mettent en avant la compétitivité et l’innovation. Des associations telles que USTelecom, représentant des poids lourds comme AT&T et Verizon, applaudissent la décision en promettant un surcroît d’investissements et de concurrence.
Quant à l’administration Trump, elle ne prévoit pas de contester ce nouveau verdict, laissant le champ libre aux opérateurs pour modeler l’avenir du marché numérique.
Quel avenir pour un Internet ouvert ?
Malgré ce bouleversement, tout n’est pas perdu pour les partisans d’un Internet égalitaire. Certains États, à commencer par la Californie, ont instauré leurs propres lois de neutralité du Net, maintenant ainsi un filet de sécurité pour leurs résidents. Leur démarche pourrait inspirer d’autres régions désireuses de protéger l’accès universel à l’information.
En outre, les défenseurs de la neutralité disposent encore d’une carte à jouer : porter l’affaire devant la Cour suprême. Si une majorité de juges s’avère sensible aux enjeux fondamentaux de l’Internet, il est possible que l’édifice réglementaire national soit à nouveau reconsidéré.
Finalement, les questions soulevées vont bien au-delà d’une simple querelle juridique. Elles interpellent sur la nature même d’Internet : un espace partagé au service de tous ou un territoire cloisonné obéissant aux logiques de marché ? La décision récente de la Cour d’appel n’est sans doute pas la dernière à alimenter le débat. Seul le temps dira si le principe d’un Internet unifié pourra résister aux forces économiques ou si, au contraire, la voie est libre pour un système à plusieurs vitesses.
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