En 2025, le Kenya a vécu une anomalie lourde de sens : zéro décaissement du FMI et de la Banque mondiale. Depuis la période Covid, les deux institutions finançaient Nairobi presque en cadence. Cette fois, elles ont levé le pied en même temps.
Du tandem post-Covid au “zéro décaissement”
Pendant la pandémie, le FMI a agi comme prêteur de dernier ressort. L’objectif était d’éviter une crise de balance des paiements. La Banque mondiale avançait en parallèle, via ses Development Policy Operations, des prêts conditionnés à des réformes. Le Kenya bénéficiait de cette mécanique à deux moteurs.
La nouveauté de 2025 tient moins au principe des conditions qu’à l’exigence de preuve. Les décaissements avaient continué malgré des retards. Puis les indicateurs de performance se sont empilés comme des dossiers sur un bureau déjà saturé. À ce moment-là, les bailleurs ont cessé d’être “patients”.
Pour Nairobi, l’effet est double. Il y a le trou de trésorerie. Et il y a le signal envoyé aux marchés. Quand le FMI se retire, même temporairement, la prime de risque bouge. Les autres créanciers regardent le pays différemment, comme si la lumière changeait dans la pièce.
Pourquoi le FMI a coupé le programme
En mars 2025, le FMI met fin à l’accord conclu en 2021. Le Kenya se prive ainsi d’environ 109,7 milliards de shillings, soit près de 850,9 millions de dollars. Ce n’est pas un simple report. C’est une rupture formelle, et donc un tournant politique.
Les griefs portent sur des engagements structurants. La restructuration de Kenya Airways est citée. Le FMI évoque aussi des divergences sur l’utilisation de ressources publiques, notamment liées à un fonds de stabilisation des carburants. Au total, 11 conditions sur 16 n’auraient pas été respectées.

Cette coupure s’inscrit dans la fin de cycle du programme EFF/ECF lancé en avril 2021 et prolongé jusqu’en avril 2025. En mars, Nairobi et le FMI actent que la neuvième revue ne se fera pas, ce qui rend improbable la dernière tranche.
La Banque mondiale verrouille le DPO
À partir de juin 2025, la Banque mondiale gèle un prêt d’environ 96,7 milliards de shillings, soit 750 millions de dollars. Le blocage est lié à un paquet de réformes. L’institution assume une logique de séquençage : on coche les cases, puis l’argent sort.
Le Kenya a pourtant fait adopter une loi sur les conflits d’intérêts, souvent présentée comme la clé du dossier. Mais la Banque mondiale considère qu’il reste 11 “prior actions”. Elles mêlent lois et réformes de politiques publiques, dont des ajustements sur la concurrence, les achats publics numériques et la gestion de trésorerie.
Le gouvernement veut accélérer. Le Trésor dit attendre ces 750 millions et plaide pour une échéance avant mars 2026, date évoquée par la Banque. En parallèle, Nairobi pousse pour un nouveau programme FMI financé, avec une mission annoncée en janvier 2026.
Crypto : soupape sous contrainte, pas solution miracle
Quand les dollars deviennent un sujet, les alternatives gagnent en visibilité. Les stablecoins attirent car ils offrent une exposition au billet vert sans passer par les circuits bancaires classiques. Le bitcoin, lui, sert davantage de pari ou de réserve spéculative, selon le profil de l’utilisateur. En effet, le Kenya est déjà prêt à accueillir les produits bitcoin négociés en bourse.
Il faut cependant replacer la crypto à sa juste taille. Un stablecoin ne remplace pas une ligne FMI. Un wallet ne refinance pas une dette souveraine. Les montants bloqués se comptent en centaines de millions, et exigent gouvernance, transparence et trajectoire budgétaire crédible.
La crypto peut malgré tout jouer un rôle marginal utile. Elle peut réduire certains coûts de paiements transfrontaliers et fluidifier l’accès à des actifs en devise. Le revers est connu : dollarisation informelle et fuite de capitaux si l’usage devient massif. Dans un pays sous surveillance des bailleurs, c’est un équilibre délicat à tenir.
Au final, 2025 ressemble à un test de crédibilité grandeur nature. Les bailleurs disent : prouvez, puis on finance. Le Kenya répond : donnez du temps, mais vite. L’année 2026 dira si le verrou saute, ou si la pression budgétaire continuera de pousser les acteurs vers des “plans B”, crypto comprise. Certains pensent que l’essor du mobile money prépare le terrain pour le bitcoin.
