Le Maroc prépare un virage crypto plus méthodique qu’il n’y paraît. Le signal le plus clair est venu de Rabat, du 8 au 11 décembre 2025, quand l’AMMC a réuni plusieurs institutions pour une formation technique à la supervision des crypto-actifs, en partenariat avec Chainalysis. L’idée est simple, presque pragmatique : apprendre à lire la blockchain avant d’avoir à la réguler, et être opérationnel dès le jour où le cadre légal entre en scène.
Un régulateur qui se met en mode “atelier”
Ce séminaire n’a pas été pensé comme une conférence de plus. Il a été conçu comme une montée en compétence accélérée, avec de la théorie et des cas pratiques. On y parle registres distribués, typologies d’actifs, et surtout méthodes de supervision. Le but n’est pas de “croire” à la crypto, mais de la comprendre.
Le détail qui compte, c’est la composition de la salle. À côté de l’AMMC, on retrouve le ministère de l’Économie et des Finances, le ministère de l’Intérieur, Bank Al-Maghrib et l’ANRF. Cette photo de famille dit beaucoup : la crypto est traitée comme un objet financier, mais aussi comme un sujet de sécurité économique.
Et puis il y a l’angle assumé : la traçabilité. Les démonstrations d’outils d’investigation et de traçage de fonds montrent où l’État veut reprendre l’initiative. Dans l’univers crypto, la transparence existe déjà, mais elle est brute. Il faut savoir l’exploiter, sinon elle ne sert à rien.
De l’interdiction de fait à l’encadrement par la preuve
Ce mouvement tranche avec la posture de 2017. À l’époque, l’Office des Changes rappelait que les transactions via “monnaies virtuelles” étaient une infraction à la réglementation des changes, avec sanctions à la clé. Le message était dissuasif, et le sujet restait dans une zone grise, tolérée dans les usages, refusée dans le droit.
Même plus tard, les autorités ont continué à mettre en garde contre la volatilité, l’absence de protection du consommateur et les risques d’usages illicites. Le point intéressant est que ces avertissements n’ont pas empêché l’adoption. Ils ont surtout rendu visible l’écart entre la réalité du marché et le cadre officiel.
Aujourd’hui, l’approche change de tempo. Le Maroc ne cherche plus seulement à freiner, il veut canaliser. Cela se comprend aussi par le poids du phénomène : Chainalysis place le pays au 24e rang mondial dans son index 2025, malgré un environnement encore restrictif. Quand un usage devient massif, l’absence de règles finit par coûter plus cher que la régulation.
Ce que la future régulation crypto peut changer, concrètement
Les contours qui circulent indiquent une architecture à deux têtes. L’AMMC se concentrerait sur ce qui ressemble aux marchés : émissions, offres au public, négociation de crypto-actifs. Bank Al-Maghrib encadrerait les jetons adossés à des actifs, dont les stablecoins, avec une logique plus monétaire et prudentielle. Ce partage, s’il est bien exécuté, évite les angles morts.

La colonne vertébrale sera la conformité LBC/FT. Le projet évoqué dans la presse insiste sur un régime d’agrément des prestataires et sur des exigences alignées avec les standards du GAFI. On parle notamment de “Travel Rule”, donc l’obligation d’identifier l’expéditeur et le bénéficiaire lors des transferts, et de conserver des données sur la durée. C’est le genre de détail qui transforme une activité informelle en industrie surveillée.
Il y a aussi une philosophie de fond : protéger sans étouffer. Les analyses locales décrivent un équilibre recherché entre protection des investisseurs, intégrité des marchés, soutien à l’innovation et stabilité financière. Dit autrement, le Maroc veut une crypto qui se tient debout, pas une crypto qui se cache.
Les gagnants, les contraintes, et le test crypto du “jour 1”
Pour l’écosystème crypto, une régulation claire peut ouvrir des portes. Les plateformes sérieuses gagnent une route officielle, donc un accès plus crédible aux banques, aux partenariats, et à des clients plus larges. Les investisseurs, eux, gagnent un arbitre identifiable. Et dans un marché où l’arnaque adore le flou, c’est loin d’être un détail.
Mais il ne faut pas idéaliser la suite. Une régulation qui fonctionne demande des équipes capables de lire des schémas de fraude, de suivre des flux multi-chaînes, et de dialoguer avec des acteurs internationaux. C’est exactement ce que la formation de décembre prépare : une capacité technique avant l’entrée en vigueur des règles, pour éviter la période de flottement.
Le vrai examen arrivera au “jour 1”, celui où le cadre devient applicable. Si les agréments sont délivrés avec méthode, si la supervision est cohérente entre institutions, et si la règle du jeu est lisible pour le public, le Maroc peut passer d’un marché crypto toléré à un marché structuré. Dans le cas contraire, le pays garderait le même usage, mais avec une couche de complexité en plus.
